LA GIFLE
De toute ma vie, j'ai reçu UNE gifle.
J’étais une enfant docile. Bonne élève à l’école, gentille, douce, obéissante et docile, même à la maison.
Timide.
Très timide!
La directrice d’école avait jugé bon, dès le CE, de me faire sauter une classe, parce que, soi-disant, j’étais trop en avance pour rester avec les enfants de mon âge : comme je savais tout avant les autres et que je répondais à toutes les questions, je pense que je devais la gêner ! Elle m’avait donc emmenée un matin, dans la classe supérieure, et je m’étais assise, sous les regards curieux des " grands " de 9/10 ans (un an de plus, voire deux ! Tu parles comme ils étaient grands pour moi ! ), en classe de CM1.
J’avais, dans cette classe, un instituteur. Bien aimé Monsieur Rouquette, je n’ai jamais su votre prénom, jamais je ne vous ai tutoyé, mais je vous ai adoré dès que vos yeux se sont posés sur moi alors que j’entrais à reculons dans votre classe, tirée par le bras de la directrice de l’école, Mademoiselle Carcenac. Elle non plus n’avait pas de prénom. Ni de mari d’ailleurs, mais elle se maquillait et s’habillait joliment. Elle sentait le tabac blond, le parfum " Je reviens " de Worth, fragrance que j’ai offerte à ma mère plus tard dans ma vie, espérant retrouver l’odeur de Mademoiselle Carcenac.
" Monsieur Rouquette " m’a fait asseoir à côté de Danielle Ségura. Je l’ai trouvée tout de suite jolie, avec ses cheveux noirs et ses yeux vifs. Danielle Ségura avait de l’aplomb avec les garçons, elle était bonne élève, surtout en " calcul ".
J’ai été tout de suite à mon aise, dans cette classe, et ici aussi j’ai distancé les autres, collectionnant les places de première sauf en maths, là, Danielle Ségura était bien meilleure que moi.
Un jour…..
Ô triste jour !
J’avais résolu un problème de maths à la maison, fait rarissime. Le lendemain, en classe, Monsieur Rouquette demande à voir nos cahiers. Il vérifie nos résultats, en passant dans les rangs. Arrivé à ma hauteur, il se penche au-dessus de moi, et me demande :
" - Comment es-tu arrivée à ce résultat ?
-…….
-Comment as-tu trouvé la solution ?
-…...
-Passe au tableau. On va voir si la mémoire te revient. "
Devant le tableau noir, j’étais paralysée de terreur. J’avais fait l’exercice à la maison, oui, mais j’avais trouvé le résultat par hasard, et le ton que je percevais dans la voix de l’instituteur n’augurait rien de bon pour moi.
" -Tu as copié sur Danielle ?
-Non, Monsieur.
-Alors montre moi sur ton cahier de brouillons où tu as mis tes opérations. "
Je n’ai pas pu retrouver trace de mes opérations, parce que fidèle à mes habitudes d’économie, je les avais placées dans des espaces blancs, des vides, en revenant en arrière. Tous les regards étaient braqués sur moi et les soupçons de l'instituteur me nouaient les tripes. J'étais en proie à la panique.
Monsieur Rouquette, perdant son calme devant mon entêtement à prouver une bonne foi en laquelle il ne croyait pas, me balance une gifle, et par ce geste perd également son statut de maître vénéré.
En larmes, le rouge de la honte au visage, j’ai attendu avec la plus vive impatience que la journée se termine pour rentrer à la maison.
Chez moi, je m’écroulai en sanglots, dans les bras de ma mère. Après m’avoir calmée, puis restaurée, elle me fit raconter le pourquoi de ce chagrin. Ensemble, nous retrouvâmes les opérations qui m’avaient permis de résoudre l’exercice, et maman me conseilla de les entourer au crayon. Elle me conseilla également, d’aller parler à Monsieur Rouquette, dès le lendemain matin, et de lui montrer où j’avais placé ces satanées opérations.
Ainsi, le lendemain, après une nuit difficile parce que traversée de cauchemars, à l’entrée de la classe, après la sonnerie, j’allais parler à l’instituteur. A l’écart, et la voix enrouée par l’émotion, je tentais de lui prouver qu’il m’avait traitée injustement. Il prit le temps de vérifier avec moi l’emplacement de ces opérations, de me demander de justifier la résolution de l’exercice, et ensuite, il me prit la main, tout en demandant aux élèves de la classe, d’une voix forte, de s’asseoir et de l’écouter.
" Hier, j’ai traité A**** de menteuse, parce qu' elle n’avait pas pu refaire au tableau l’exercice qu’elle avait résolu chez elle. Je l’ai accusée d’avoir copié sur sa voisine, et je l’ai giflée. Elle vient de me prouver qu’elle n’était ni une menteuse, ni une copieuse. Devant vous tous, je demande pardon à A**** pour ne pas l’avoir crue, pour avoir douté de sa parole, et pour l’avoir giflée . A****, à toi, je te demande pardon pour t’avoir traitée de menteuse, pour t'avoir accusée d'avoir copié, et pour t’avoir giflée."
Une fois encore je regagnai ma place le visage en feu, mais si j’étais rouge, ce n’était pas de honte, mais de confusion. Ainsi, non seulement les adultes étaient capables de se tromper, d’être injustes, méchants, mais ils étaient aussi capables de reconnaître leurs erreurs.
Cet incident a marqué ma vie, à plus d’un titre ; la seule et unique gifle que j’ai reçue était injustifiée , mais j’avais vu qu’il était possible pour un adulte, de s’excuser, de demander pardon à un enfant pour le préjudice qu’il lui avait fait subir.
Sur la photo, je suis à la droite de mon père, ma soeur étant penchée sur sa gauche.
Mon père adoré ne m'a jamais giflée.
Ma soeur a essayé. Souvent.
Mais je courais vite.
Plus vite qu'elle!
Fastoche!
Tu la vois courir avec ses espadrilles?
Pfffffffffff!